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L’ouverture des codes sources : pour un enseignement supérieur et une recherche publique fiable

Le cadre légal applicable aux établissements de l’ESR. Science ouverte, reproductibilité et intégrité scientifique. Open source et enseignement supérieur. Les infrastructutres support de l'ESR

Published onDec 23, 2020
L’ouverture des codes sources : pour un enseignement supérieur et une recherche publique fiable
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Une question du questionnaire visait à savoir si les personnes avaient connaissance de codes sources qui devraient être publiés, mais qui ne le sont pas encore. Même si peu de personnes donnent des exemples de logiciels non publiés (62,4%), les personnes ayant répondu sont favorables à une ouverture du code source. Plusieurs raisons sont citées qui rejoignent des caractéristiques fortes constitutives de l’enseignement supérieur et de la recherche en tant que service public, mais également comme institution garante de productions de savoirs de qualité.

Le cadre légal applicable aux établissements de l’ESR

Les instituts de l’ESR sont soumis à un cadre légal favorable à l’open source :

  • en tant qu’administration : tout logiciel, en tant que document produit ou reçu par un acteur de l’ESR dans le cadre de ses missions de service public de recherche, est soumis par principe au régime de l’open data. En effet, depuis la loi « Valter » de 2015, les centres de recherche ne peuvent plus appliquer leurs propres conditions de réutilisation des documents administratifs. Ils sont ainsi pleinement soumis au régime général de l’open data revu par la Loi pour une République numérique (LPRN) de 2016 qui a étendu le champ d’application de l’open data aux codes sources. Dès lors, la diffusion des codes sources devra se faire sous une licence open source et dans un standard ouvert, sans que des restrictions techniques ou juridiques puissent entraver son accès, sa modification, son analyse et sa redistribution. Au-delà de l’application du régime standard de l’« open data à la demande », les logiciels entrent dans la catégorie dite de l’« open data par principe » (ou par défaut) en tant que données « dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental1 » – ce qui impose un comportement proactif d’ouverture et de diffusion;

  • en tant qu’acteur de l’ESR : la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche dispose par ailleurs que les « logiciels libres sont utilisés en priorité » (codifié en l’article L. 123-4-1 du code de l’éducation) par le service public de l’enseignement supérieur dans la mise à disposition de « services et des ressources pédagogiques numériques ». Ces dispositions ont été prévues afin de favoriser une mutualisation dans le financement, l’achat et l’utilisation de logiciels au bénéfice des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche2.

Néanmoins, il semblerait que l’absence de sanction et de recours administratifs entraîne une faible application du cadre prévu par le législateur3.

À noter qu’au niveau juridique, les licences open source CeCILL (CeCILL, CeCILL-B et CeCILL-C) ont été rédigées par le CNRS, le CEA et l’INRIA pour disposer de licences compatibles avec le droit français (face à un paysage open source majoritairement nord-américain) et, ainsi, sécuriser et accompagner les pratiques de l’open source au sein des centres de recherche. Ces licences ne sont aujourd’hui plus portées politiquement et humainement, rendant les chercheurs ou chargés de valorisation démunis devant ce choix, préjudiciant aux objectifs initiaux. Un des chercheurs interrogés4 notait qu’il avait utilisé les licences CeCILL mais avait arrêté, car « cela posait problème avec l’international». D’autres pays, telle l’Allemagne, ont aussi historiquement produit leur propre licence, aujourd’hui abandonnée au profit des licences open source qui sont devenues des standards de fait. On peut noter aussi l’existence de la licence EUPL5, qui ne figure pas néanmoins dans les licences autorisées au sein de l’administration française6.

Recommandation 4 : Réaliser une étude pour évaluer la pertinence de l’emploi des licences françaises CeCILL et de la licence EUPL dans l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et formuler des règles explicites quant à leur usage.

Outre ces enjeux de transparence, de « redevabilité » et de mutualisation, plusieurs commentaires soulignent également que l’ouverture des codes sources contribue à la qualité de la recherche produite, rejoignant les enjeux actuels portés sur la reproductibilité dans une démarche de science ouverte7.

Science ouverte, reproductibilité et intégrité scientifique

L’ouverture des codes sources rejoint une problématique majeure au sein de la recherche qui concerne la qualité des savoirs produits et des modalités d’évaluation de la recherche tout autant que de son personnel (enseignant.e.s-chercheur.e.s, etc.). À ce propos, ont été cités également plusieurs fois en commentaires des entretiens et du questionnaire, l’enjeu de la reproductibilité en sciences nécessitant l’ouverture du « code scientifique » tout autant que des formations un système de reconnaissance et d’évaluation prenant en considération ces nouvelles pratiques.


Points clefs questionnaire :

  • Une idée récurrente dans les commentaires les codes sources des logiciels cités dans des articles devraient être publiés. L’enjeu semble être celui de la reproductibilité.


Ce point rejoint de façon plus globale les initiatives actuelles à l’échelle internationale, européenne et nationale de science ouverte (open access, plan de gestion des données, principes FAIR) soulignée notamment par la note d’opportunité du CoSo sur la valorisation des logiciels issus de la recherche. La publication du code source représente en ce sens une des briques du travail scientifique à partager afin de pouvoir tracer l’ensemble de la démarche scientifique :

  • ces codes sources ici ne sont pas produits dans une optique de production logicielle ou de valorisation, c’est-à-dire dans le but de développer un outil utile à un grand nombre et qui a vocation d’être maintenu;

  • ces codes sources « bouts de code », « scripts »,« petits projets », « pipeline de données », comme le rappellent certains commentaires et remarques de personnes interrogées sont néanmoins la traduction en langage de programmation d’algorithmes nécessaires au traitement, à l’analyse et à la visualisation de données pour la production des résultats et des figures associées aux publications scientifiques8.

Bien qu’associée à la notion juridique de logiciels9, cette distinction est importante à souligner car elle permet de mettre l’accent sur différents publics concernés par la production, diffusion et utilisation de ces éléments. En effet, ces « scripts » et « codes scientifiques » sont des noms usuels employés par les personnes les produisant (chercheurs, doctorants, etc.) dont les connaissances de développement « logiciels » sont différents d’ingénieurs dont le développement est le cœur de métier.

Des journaux scientifiques demandent désormais la publication du codesource (et également des jeux de données) qui ont servi à la production de résultats de recherche 10. C’est le cas par exemple du journal IPOL11 qui se présente comme un « Open Science and Reproducible Research journal ». L’objectif est de souligner l’importance des mathématiques comme source pour le design algorithmique et la reproductibilité en recherche. La revue ReScience12, quant à elle encourage la réplication de travaux déjà publiés et promeut de « nouvelles implémentations en open source afin de s’assurer que les travaux originaux soient reproductibles ».13 En effet un de ses fondateurs en entretien14 note que les enjeux de reproductibilité nécessitent d’une part d’ouvrir les codes sources, mais également de s’assurer que l’environnement de travail disponible à ce moment puisse être retrouvé, et cela même 10 ans après. Cela implique ainsi des questionnements transverses sur le référencement et l’archivage et la constitution d’un patrimoine logiciel dont Software Heritage15 est une des initiatives clefs.

Recommandation 5 : Adopter une approche différenciée des bénéfices de l’open source en fonction des finalités de production des logiciels (codes scientifiques isolés ou production logicielle).
Recommandation 6 : Sensibiliser au partage des codes sources (et de jeux de données) étant associés aux résultats de recherche comme critères d’évaluation pour la publication dans une revue scientifique.

Pour l’ensemble des codes sources, des problématiques transversales se retrouvent telles : l’archivage, la maintenance, l’évaluation, mais aussi la valorisation possible des codes sources16.

Production logiciels (outils et support)

Codes scientifiques/scripts

Métiers concernés

Ingénierie logicielle, Ingénierie de recherche et d’étude

Métiers associés à la production de résultats scientifiques et évalués sur ces éléments (MCU, PU, DR, Post-doctorat et doctorat)

Finalité du code

Mutualisation et réutilisation du code, contribution et développement de nouvelles fonctionnalités, utilisation massive

Reproductibilité, preuve, traçabilité de la recherche, science ouverte

Enjeux

Valorisation, maintenance et soutenabilité, dynamique d’écosystème, visibilité

Acculturation aux pratiques open source documentation, citation, formation, inclusion dans les processus d’évaluation des revues scientifiques

Enjeux transversaux

Pérennisation, archivage, citation, référencement

Pérennisation, archivage, citation, référencement

Ressources associées

Infrastructures de publication facilement interfaçables, référencement sur des plateformes, mises en place d’indicateurs, modèle de valorisation basée sur l’open (licences, contrat),

Personnes-ressources dans les laboratoires et en bibliothèque, infrastructures de publication interfacée à des archives, référencement avec identifiant pérenne,

Tableau visant à distinguer différentes finalités de l’ouverture du code source et des personnes concernées au sein de l’ESR17

Plusieurs commentaires du questionnaire et des entretiens mentionnent en ce sens que les enjeux de reproductibilité ou encore d’archivage sont des sujets et des pratiques nouvelles nécessitant un accompagnement. Un manque de méthodologie est souligné avec la nécessité de former les chercheurs à ces pratiques et aux enjeux de reproductibilité (environnement de travail, documentation du code, etc.). L’ouverture du « code scientifique » dans une démarche de science ouverte vise l’ensemble des communautés de chercheurs. Si les métiers d’ingénierie de recherche et d’étude et de développement logiciel sont de plus en plus familiarisés à l’open source et aux enjeux juridiques associés au sein de l’ESR, ce n’est pas le cas souvent des « chercheur.e.s » et étudiant.e.s (MCU, DR, PU, post-doctorat, doctorant) qui manquent de connaissances à ce sujet et de clefs de compréhension18. À ce sujet, la procédure CDUR19 a été proposée pour évaluer les logiciels de la recherche en quatre étapes : Citation, Dissémination (Dissemination), Utilisation (Use), Recherche (Research), pour analyser les conditions d'identification et de citation, les bonnes pratiques de diffusion et de (ré-)utilisation et l'évaluation de la recherche associée à ce type de logiciel.

Un accompagnement à ces pratiques (connaissances organisationnelles, juridiques, mais aussi génie logiciel (maintenance, suivi de version, test, etc.) est ainsi recherché. Le projet PLUME a ainsi proposé des formations et des ateliers pour sensibiliser à ces enjeux20. Un MOOC recherche reproductible a été également développé sur la plateforme FUN et soutenue par l’INRIA21. Un de ses créateurs22 souligne néanmoins que les écoles doctorales ne sont souvent pas réceptives à ce nouveau genre de formation. Or l’open source joue également un rôle majeur dans la formation des nouvelles générations.

Recommandation 7 : Mettre à disposition des personnels de la recherche des formations, bonnes pratiques et outils en matière de publication de code source et les accompagner dans cette appropriation.

Open source et enseignement supérieur

De nombreux projets de recherche visent aussi à fournir les outils aux chercheur.e.s et ingénieur.e.s de demain. Outre l’utilisation de plus en plus fréquente de R et de Python dans les enseignements23 d’informatique, de traitement et d’analyse des données (data science) (cf. B.3),plusieurs projets issus de travaux de recherche sont particulièrement connus24 =et utilisés dans le cadre de formation, que le projet provienne :

  • des écoles (que ce soit à l’initiative des élèves tel VidéoLan, initialement développé par le bureau des élèves de l’École Centrale Paris, ou des instituts tels CHOCO, GPAC ou Open AIR développés par l’IMT) ;

  • de centres de recherche, notamment du fait de l’activité d’enseignement réalisée par bon nombre de chercheurs (tels OrfeoToolBox25 dans le domaine du géospatial, Gephi pour l’analyse de réseau, etc.).

L’implication dans la conception, le développement et l’usage de logiciels sur la base desquels sont formées les nouvelles générations (recherche, ingénierie) est déterminante pour participer au rayonnement de la recherche française. La diffusion en open source dans le cadre d’une gouvernance ouverte est une garantie facilitant l’implication et contribution de chercheurs étrangers. Ainsi la dimension communautaire internationale du logiciel open source GAMA Plateform a-été décisive dans le choix de se former à cet outil par plusieurs équipes de recherche japonaises (Kyoto University et Ritsumeikan Unibersity).

On peut noter également dans le champ de l’enseignement à la programmation des projets déployés de façon indépendante en open source par des enseignants et chercheurs. C’est le cas de la plateforme hackinscience26, un espace d’apprentissage de python avec la proposition de correction automatique d’exercices. Un des fondateurs27 observe notamment son utilisation par des enseignants-chercheurs au sein d’Université aujourd’hui. Le projet OpenDreamKit28 (projet européen H2020) gagne à être aussi souligné car il illustre l’importance de financement pour la création et le maintien d’environnement de recherche virtuel et collaboratif. Un des projets phares soutenus est Jupyter Notebook29, un environnement de recherche jouant le rôle de « cahier de laboratoire », d’espace de documentation et de publication interactive de code pour des projets computationnels et de traitement de données. Ces environnements de travail apportent des briques opérationnelles afin de faciliter la reproductibilité de ce type de projet scientifique.

Plus globalement dans le champ de l’enseignement en ligne, le déploiement des MOOC a été majeur ces dernières années. En France, la plateforme FUN (France Université Numérique) développée à partir de 2013 repose sur la solution open EdX30 fondé par Harvard et le MIT en 2012. Celle-ci proposant selon un ancien développeur chez FUN31 « des avantages techniques et d'utilisation que Moodle32 [projet open source d’apprentissage en ligne] négligeait un peu comme la problématique des interfaces utilisateurs qui sont souvent mal pensées dans le champ de l'open source ». Un travail conséquent a été nécessaire au début pour FUN afin d’adapter le projet pour « s'affranchir de la partie du code qui utilisait Amazon et YouTube. »33. Ce même développeur notait des collaborations limitées avec la communauté EdX qui dénote d’un projet initial où le code est diffusé en open source mais sans être associé à une dynamique de contribution et communautaire comme cela peut-être le cas au sein de la communauté Moodle. À ce sujet, la problématique du développement et du maintien de projets logiciels comme support de l’ESR a été adressée et implique de considérer l’open source comme élément clef des infrastructures de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Les infrastructures support de l’ESR

Plusieurs commentaires insistent sur le fait que la production logicielle est issue de l’investissement d’argent public et devrait ainsi être ouverte. Cela a été mentionné pour le cas de la plateforme d’archivage HAL en commentaire du questionnaire34. Un autre exemple cité était l’ouverture des algorithmes entiers de ParcoursSup en précisant l’importance d’une documentation associée pour expliciter ces algorithmes35. Plusieurs réponses soulignent également la nécessité de logiciels libres pour les infrastructures de recherche et d’enseignement supérieur. Cela concerne aussi bien des logiciels employés au sein des laboratoires ou de l’enseignement qu’ils soient généralistes (à la place des suites Microsoft) ou bien plus spécifiques.

Le logiciel, ainsi plus qu’un objet de recherche, un artefact ou un outil, est aussi à la base même des infrastructures de soutien au fonctionnement de l’ESR, qui représenterait une quatrième fonction, ou catégorie, majeure à considérer. En anglais, le terme d’« Open Scholarly infrastructures » ou d’« Open Source Publishing Tools and Platforms » est employé pour mentionner les infrastructures soutien à la publication, à l’archivage des produits de la recherche (données, publications,etc.)36 37 Cette prise en considération est devenue majeure depuis quelques années avec la thématique plus générale des « Digital Infrastructures » et de leur durabilité (sustainability) qui bénéficie de financement conséquent notamment aux États-Unis38. Outre le GIP (Groupement d’intérêt publique) FUN en open source, le GIP AMUE (Agence de Mutualisation des Universités et Établissements) dédié à la mutualisation des outils support des domaines d’activités de l’ESR se positionne d’ores et déjà dans une approche de co-construction et de mutualisation avec les universités pour développer des projets open source39. L’open source étant un levier pour favoriser une mutualisation des initiatives et proposer une gouvernance numérique de l’ESR basée sur ces principes. Plus encore, l’ensemble des logiciels administratifs (gestion, comptabilité, édition) et leur « composante métier » pourraient bénéficier d’une telle mutualisation.

Recommandation 8 : Mutualiser les moyens logiciels mis en œuvre dans le développement et la maintenance des infrastructures nécessaires à la publication des codes sources de l’ESR.
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